Interview du rappeur Joke (Ateyaba)

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Et si le rap français venait d’ailleurs ? Un look hip(hop)ster, un flow rond à la A$ap, des bras tatoués « comme un marin ». Pas vraiment du « mandarin » tout ça ! Et pourtant Joke, nouvelle signature Def Jam France – toujours encadré par Golden Eye Music – apporte quelque chose de frais. La Paillade ou « MTP » ! Comprendre, Montpellier. Un souffle dans un microcosme où règnent Paris et (surtout) sa banlieue. Deux jours avant son concert à la Maroquinerie – affirmant une présence scénique certaine – le rookie rappeur nous a exposé sa vision rapologique et chimique des choses.

joke, le rappeur français

Ton nom d’artiste, Joke, est-il un moyen de dire que le rap est aussi une musique pour délirer ?

Même pas ! Avant de m’appeler Joke, je m’appelais School Boy. Et vers 13-14 ans, j’ai commencé à avoir mon style d’écriture, un peu imagé avec des métaphores. J’ai fait le parallèle avec les blagues. Dans les blagues, il y a beaucoup de traits d’esprit et de métaphores. Je me suis donc dit que « Joke » correspondrait bien avec ma manière d’écrire.

Une bonne punchline peut être une bonne joke ?

Exactement. D’ailleurs lorsque j’entends des grosses punchlines, il m’arrive d’éclater de rire.

Comme ton rap est plus « entertainment » que revendicatif, est-ce que tu considères que tu fais vraiment du rap français ?

Moi, je fais du rap en français ! Dans le rap français, c’est vrai qu’il y a ce côté revendicatif. Mais je me dis que tu peux être revendicatif tout en faisant plaisir aux gens qui t’écoutent. En France, j’ai l’impression que l’on oublie beaucoup ce côté-là. On ne se penche pas assez sur la musique, la musicalité, la tournure des phrases. On se base plus sur le fond que sur la forme. Quand les cainris font du rap, pour moi ce n’est pas du rap cainri. C’est du rap, c’est tout !

Il y a quelque chose de prégnant dans le rap français, c’est son rapport à la chanson française. Est-ce que tu penses que c’est une vieille école ?

Mon rap est entertainment mais je me prends la tête sur mes textes. Si je ne raconte pas des choses de la vie, je me prends quand même la tête pour écrire en multisyllabique. Il n’y a pas de revendication mais il y a une forme de recherche artistique dans l’écriture qui est forte… comme dans la poésie. Après, il y a des mecs qui ont des trucs à dire. Par exemple Youssoupha ! Il arrive à faire passer ses revendications tout en étant aiguisé dans son écriture. Mais il y a beaucoup de mecs, qui ont eux aussi des discours, mais ne rappent pas super bien.

« Dans le rap français, c’est vrai qu’il y a ce côté revendicatif. Mais je me dis que tu peux être revendicatif tout en faisant plaisir aux gens qui t’écoutent. »

Tes influences sont surtout américaines, on le ressent dans tes sons et ton style. Le clip qui est censé représenter ta ville Montpellier, « MTP Anthem », pourrait nous faire un peu croire qu’on est à L.A.… Notamment les plans où tu es en bike !

Ce n’est pas une matrice. Il y a des gens qui vivent comme ça là-bas ! Ce n’est pas tout le monde, mais cela existe. Ce n’est pas un truc de fou, c’est réel.

Ton EP (mini album) s’appelle « Kyoto », tu souhaites percer au Japon ?

Je souhaite déjà pouvoir y aller pour visiter, et me faire un petit public. Percer, c’est une autre histoire. Il faudrait déjà que je perce ici. Après, on verra pour le Japon.

Tu veux trouver un marché, en fait ?

Je pense que c’est possible. Les gens s’intéressent à tout là-bas. Il y a des personnes qui n’écoutent que du rap français alors que ce sont des Japonais.

Ton intérêt pour le Japon est plus « business » que culturel ?

Le côté culturel est impliqué. J’aimerais que des gens m’écoutent au Japon. Ça serait un plaisir. Pour l’instant, des Russes et des Ukrainiens m’écoutent. Je sais qu’il y en a aussi en Algérie. Mais au Japon, pas encore.

« Kyoto » est sorti le 26 novembre, le même jour que l’album de Booba. C’est un hasard ?

On devait sortir le sortir le 12 novembre. Mais on a été un peu en retard sur la promo, donc on a été obligé de décaler pour sortir dans les conditions optimales. Après, il y a Booba en face. Mais en fait, il n’est même pas en face, il est tout seul ! Je ne pense pas que le fait que Booba ait sorti son truc le même jour ait empêché les gens d’acheter le mien.

Le logo de ton collectif « Les Monsieurs », que tu portes aujourd’hui, est une fleur de Lys. Tu revendiques déjà un trône ?

C’est un peu ça, c’est le symbole de la monarchie. Mais c’est aussi un symbole de la monarchie française ! Et comme j’ai cette envie de m’exporter, je trouve que c’est frappant pour un Français de voir un autre Français porter un truc comme ça. C’est aussi un symbole de la France. Ensuite, c’est vrai qu’il y a ce côté roi. Évidemment que je ne peux pas aujourd’hui me revendiquer roi du rap en France… Mais j’y travaille.

Ton style s’intègre dans une mouvance qui émerge – aux US mais aussi un peu en France – et que l’on pourrait qualifier de « rap hipster ». Est-ce que tu penses faire partie de ce courant ?

(Il hésite) Peut-être au niveau vestimentaire. Et musicalement aussi en fait. Mais je fais surtout de la musique que j’aimerais écouter, que j’aime écouter. Donc si je fais partie de ce courant là, c’est involontaire. Je n’ai pas cherché quoi que ce soit.

C’est plus générationnel ?

Je pense, car je préfère mille fois Jay-Z à Curren$y. Ce n’est pas une histoire de style. Je ne suis pas trop dans ce truc là. Je pense que c’est générationnel, vraiment. Des gars comme Cool Connexion, je trouve qu’ils sont bons dans ce qu’ils font. Mais je peux te dire Niro aussi. Niro a rien à voir avec ce style mais je le trouve trop fort.

Tu as établi une solide relation avec la chaine musicale Ofive, qui est partenaire de ton premier concert parisien et qui diffuse la majorité de tes clips. Comment tout cela s’est mis en place ?

Il y a un an et demi j’avais fais un clip (« Tire sur nous ») avec un pote, Titan. On l’a monté nous même puis on l’a mis sur Youtube. Avec Facebook, ils ont dû tomber dessus et c’est Mélo d’Ofive qui m’a contacté. Il a trouvé le clip cool, je le lui ai envoyé, ensuite ça a glissé tout seul. Je pense qu’ils adhèrent à ce que je fais. C’est aussi une fenêtre pour me faire connaître d’autres personnes. J’aime la direction artistique de cette chaîne. Ils passent de tout. Le fait qu’ils ne passent pas uniquement du Hip-Hop, c’est une ouverture pour tout le monde.

Justement on parle d’Ofive, de clips… Dans tes clips, tu fumes des blunts ou des beedies ?

C’est des cigarillos ! Des cigarillos à la vanille. Pas beedies, pas de blunts non plus. Les blunts, je ne peux pas. La weed, ça me met mal. Les cigarillos, c’est bon et ça se fume autrement. Tu n’en fumes pas autant que des cigarettes. Tu peux en fumer trois-quatre par jour. Et comme c’est à la vanille, c’est doux. Le goût est léger, sucré…

Est-ce que – comme dans « Threesome » – tu fais des mélanges soda-codéine en soirée ?

Je buvais ça à un moment. Mais j’ai arrêté tout ça ! Tout ce qui est alcool aussi, j’ai arrêté. A l’époque du titre Threesome, je buvais de la codéine. Je mélangeais codéine, prométhazine avec du Sprite, comme font les cainris. Les cainris ont un mélange de codéine et de prométhazine dans un seul sirop violet. En France, on a deux sirops. Un, avec de la codéine. Un autre, avec de la prométhazine. Ce que je faisais, comme les gens qui consomment de la codéine, je prenais du sirop Néocodion – ça, tu as le droit d’en acheter un par pharmacie et sans ordonnance, ça coûte 2 euros – et du Phénergan, c’est la prométhazine. Ensuite, je mélangeais les deux sirops avec du Sprite. Et c’est très bon ! Le goût est très bon, c’est sucré. Voilà, ça te ralentit. Mais maintenant, tout ce qui a une influence sur le cerveau, ça ne va pas avec moi. Je kiffe pendant le moment mais le lendemain je vais être dans un état chelou. Donc maintenant, j’ai lâché l’affaire avec tout ça. Quand je bois de l’alcool, c’est deux verres. Deux-trois verres, pas plus.

Merci à popnmusic.fr pour le recueil de cette interview.